Construction identitaire, langue française et violence verbale en contexte urbain tizi-ouzéen

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2018

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Universite Mouloud MAMMERI Tizi-Ouzou

Abstract

Pour les différents sociogroupes qui structurent la ville de Tizi-Ouzou (primo-arrivants, néo-arrivants, natifs ou migrants), la construction de soi repose nécessairement sur une alternative identitaire : paraître citadin ou paraître contadin ? Comment trouver un équilibre dynamique entre ces deux pôles : devenir citadin sans cesser d’être contadin, s’intégrer à la culture urbaine, sans renier celle rurale ? Comment solutionner par une acculturation sans déculturation, quand le déséquilibre axiologique entre ruralité et urbanité irrigue des (auto-)relégations sociales ascendantes ? S’inscrivant dans une perspective de sociolinguistique, la présente recherche tente d’objectiver les corrélations constructions identitaires et violences verbales. Dans quelle mesure la conjonction hétéronome du Même et de l’Autre, de la citadinité et de la ruralité, implique-elle des constructions identitaires sui generis ? Quelle est la part de la francophonie dans la définition de soi ? En quoi le plurilinguisme urbain participe-t-il d’une logique d’invention concomitante de soi et de l’autre ? Dans quelle mesure, sous quelles formes, par quels procédés, la discursivité (topologique/épilinguistique/métalinguistique) thématise-elle des ethos et des doxa en tension. Quels en sont les effets praxiques ? En effet, les deux pôles (Zdimoh et Kabyle) se disputent une position en surplomb : ils sont constitués réciproquement en altérité-repoussoir. Le rapport au langues et aux territoires est sans cesse invoqué, pour faire acte d’identité, de différence et d’authenticité. Vu sous le prisme du « Kabyle », le « Zdimoh » métaphorise cette intrusion de l’autre en soi, l’Arabe et le Turque qui introduisent la souillure, où qualifie le « kabyle » transfuge, hybridé et débridé. Il désigne (toujours en hétéro-attribution) une identité a-topos (i.e. de nulle part). Dans cette optique, la déchera configure plutôt un « lieu apprivoisé », en discordance quant au logos zdimoh la posant comme « lieu de référence ». La légitimation de soi se rabat alors sur l’antériorité territoriale ouvrant un écart (en termes générationnels) entre le primo-arrivant (le pionnier, auxquels échoit la légitimité absolue) et le néo-arrivant (le Kabyle, où cet étranger radical auquel incombe la relégation). La déclaration « Nous somme kabyles » laisse entendre, par-delà la polynomie de la langue, cette filiation commune échafaudée sur le fantasme de pureté et la mémoire des origines. Ce constat explique, par ses fondements intersubjectifs, la possibilité de faire perdurer (voire de recréer dans l’ailleurs) le nous communautaire. Il évite au migrant contadin les écueils d’une identité a-topos (travaillée par l’oubli des origines). Se dire de nul part est le signe d’une érosion de repères (sous le double effet du tabou introjecté et du stigmate fondé en auto-odi), quad le besoin d’être de partout, d’ici et d’ailleurs, thématise une identité protéiforme récusant les ancrages réfiants. Par ailleurs, les postures totalitaires conjuguent fantasme de pureté et phobie de l’acculturation, sur-idéalisation et défense de soi. Elles s’actualisent dans des évocations nostalgiques ou mythiques du passé. C’est dans le désaccord que s’illustre l’épreuve de l’altérité francophone : glottophagie (ou « perte » du kabyle maternel au profit du français véhiculaire) ; glottophobie (ou négation du français perçu comme facteur d’anomie); hybridation (ou intégration parcellaire de l’élément allogène via le code switching). Le français devient de la sorte un espace de projection, où s’impriment des attitudes antinomiques. La parole francophone assure alors le masque ou « la doublure », qui permet au sujet de simuler son idéal d’intellectualité tout en dissimulant la part négative/négativisée de son identité plurilingue. La pratique du français à Tizi-Ouzou reste un fait objectif, et la « perte » du kabyle maternel n’en est qu’une des retombées possibles. De plus, quelque marginale que soit la francophonie tizi-ouzéenne, elle concoure à la production de la dominance (au même titre que le zdimoh, cf. infra). Entre-deux et entre-soi, mixité et fixité particularisent ainsi le comportement du tizi-ouzéen (primo-arrivant, néo-arrivant, migrant ou natif). Dans cette optique, le zdimoh typifie une ethnicité hybride villageoise, gage d’authenticité mais inductrice de stigmatisation. En réalité, si la phobie de l’hybride s’ancre dans la croyance en un ordre lignagier/langagier pur, la phobie du rural mobilise les imaginaires d’archaïsme et d’animalité. Autant la première active la quête illusoire de l’Un, autant la seconde organise - sur fond d’auto-odi – la transformation de soi. Dans ces conditions, le changement revêt la forme d’une une valeur, tandis que la fixité fait figure de repoussoir. Il engage une double quête : celle de l’authenticité (qui fait surgir le spectre de la réification) et celle d’une légitimité - toujours pareille – inductrice d’aliénation. L’authenticité s’en trouve maintenue par la mémoire des origines, relayée par le discours parentale, et matérialisée par des noms et des lieux (imbriqué dans des récits de vie), où par des soi totalitaires adossés au kabyle maternel. Dire l’origine, la filiation, pour faire acte d’identité. Situer l’altérité zdimoh dans le domaine de l’oubli, pour faire acte d’authenticité. Changer de mentalité, quitter la sphère de l’archaïque pour entrer dans la citadinité. Pareilles quêtes intègrent la glottophobie comme mise à distance de l’altérité zdimoh, insecure et menaçante, comme défense contre la phobie de l’hybridation, comme stratégie de dissimulation auto-odique. Dénégation et dérision servent alors une logique glottophobe articulant stéréotypes et sobriquet, animalisation et scatologie. Autant le discours topologique sémiotise une « agglomération » ségrégée en partie rurale vs partie urbaine, autant le discours épilinguistique polarise les différences entre la déchera (perçue comme monolingue) et le biledj (perçu comme plurilingue). La conjonction de l’un et de l’autre (du topologique et de l’épilinguistique) thématise ainsi une ville morcelée, bloquée entre ruralité et urbanité, entre unicité et pluralité. La doxa zdimoh distingue par ailleurs entre espace normatif (la dechera notamment) fonctionnant en isolat valorisant le familier au détriment de l’étranger pris comme inducteur d’entropie et espace permissif (le centre-ville, la Grande-Rue, la gare, la nouvelle ville) comme hétérotopie de la déviance. La mobilité (et son corollaire le contacte avec l’autre) est la condition d’émergence d’un néo soi faisant dialoguer des extrêmes. Elle confronte le sujet aux affres du déracinement et de la relégation. Elle est errance, irrésolution d’être, ou intrusion de l’autre en soi. Le déni même d’une intériorité auto-odique (son dépassement par alétération) laisse subsister des traces traumatiques perçant la chaine du discours. L’hybridité elle-même, censée servir de sas de non-conflit, exacerbe la stigmatisation par le jugement d’ « abatardisation » qu’elle catalyse. L’identité apparait donc comme une construction dialogique et intersubjective, faite de voltes-faces et de reformulations successives. La violence verbale se manifeste aussi par une compulsion aux ontotypes, qui semblent constituer le commun discursif des interactants. Elles accompagnent la montée en tension plutôt que ne la catalysent. Elles témoignent de la difficulté des interactants à se définir dans le champ urbain comme berani/autochtone. Vécue comme une atteinte narcissique, la xénophobie est désémantisée (R & P) ou renvoyée vers la ruralité zdimoh comme « reflex » archaïque (S) La figure du berani est une construction dialogique entre ego et alter. Son effet praxique dépend du sujet interprétant, des positions sociales dont il écope en auto et hétéro-attribution. Il suffira de disconvenir aux hétéro-assignations pour fonder et assoir une légitimité en contre point. A contrario, le sujet introjectant le stigmate endosse une identité phobique, qui aliène sa liberté de mobilité et d’ancrage. C’est dans l’écart entre le dedans et dehors, dans leur mise en tension que l’altérité polymorphe s’insinue (inconnu, alter inégal, alter égo). L’élargissement du dedans implique le renversement de la familiarité en étrangeté (par le déni de groupe endogène sur fond d’auto-odi) ou le maintien d’une ambigüité de statut (tantôt d’ici tantôt d’ailleurs, à la fois le proche et le lointain). Ces voix/voies identitaires installent le sujet/locuteur dans l’indécision d’être. Par la mobilité qui bouleverse les schèmes identificatoires préformés dans le giron familial, la culture initiale. Elle met à rude épreuve les acquis de la socialisation primaire. Par la discursivité où s’opère la « production langagière des différents niveau d’une altérité dialogique » (Bulot, 2001 : 10). La violence verbale apparait dès lors comme un palliatif au désarroi du sujet/locuteur en quête de cohérence dans un univers de signification scandé par la contradiction. Les catégories du Même et de l’autre sont sans cesse reformulées. L’antagonisme dechera-biledj s’affaiblit sous la pesée du villageois kabylophone (cf. N et sa quête des origines perdues). Il est réactivé pour dire la ville fragmentée. Selon le contexte dialogique, la part stigmatisante du Même est expulsée du soi, métamorphosée en altérité. A contrario, des liens sont établis avec le lointain, le différents, dans une logique d’élargissement de soi conjurant la relégation/stigmatisation, fondant l’appropriation dialogique des espaces urbanisés (en attestent les métamorphoses du choronyme ville). La complexité du réel fécondant le sujet réflexif devient ainsi le support d’une réinvention permanente de soi. Par retournement axiologique, idem devient alter, et inversement. Sont additionnés au soi les patterns valorisant relevant de l’altérité briguée ; sont escamotés les stigmates associés, voire imputés in vivo, au Même. Le soi obligé (imposé, prescrit, puis introjecté) devient un soi réel (vécu, revendiqué). Le soi brimé, interdit s’accomplit dans le fantasme ; relégué au domaine du non-dit, il s’exprime par retour du refoulé (cf. N). La citadinité vécue par les Zdimohs comme simulacre, apparait pour les migrants contadins comme un élargissement de soi. Le vernaculaire kabyle est sublimé en invariant inaltéré par le métissage, qui garantit l’authenticité de soi. Il permet la recomposition d’un Nous homogène, autours du fantasme de pureté langagière/lignagère. Le même vernaculaire qui active en N la quête des origines perdures (cf. infra), apparait avec P, Q & R comme une défense cotre le métissage (glosés hors micro en termes d’abâtardisation). La mobilité en faisant surgir des identités rhizomiques, des néo-normes à valeurs glossofuge assure le tissage de lien au-delà des frontières territoriales (kabyle citadin, zdimoh amélioré, langage du tahlab). Elle contribue ainsi à naturaliser (rendre visible) les ségrégations. Les graffitis « pas de berani ici » et « pas de tahlab » illustre la fusion de plusieurs voix. Elle configure une urbanité polyphonique issue de la convergence des éléments du même et de l’autre, de l’ici et de l’ailleurs (français, arabe/kabyle translitérés). La constitution du berani serait une défense contre la phobie du morcellement. Elle focalise tantôt sur la langue, tantôt sur le territoire, tantôt sur l’ethnie. Le zdimoh s’arrogeant une position de légitimité territoriale – par le jus soli – crée et distille la différence, ou plutôt ouvre un écart. Il porte un jugement rétrospectif négatif sur le village des origines désormais hétérotopie. L’étranger est cette part de soi auto-odique, à la quelle supplée le néo. Cette altérité-repoussoir (dénommée ou laissée dans l’anonymat) traduit le rejet de ce que le graffiteur (ou le sujet interprétant) abhorre en lui-même. Cette glotto/altérophobie est le produit de la mobilité vécue comme intrusion, usurpation de place. Le berani est ainsi une façon de dire l’altérité sous le prisme des fantasmes et phobie scandant le soi et le groupe. Il est une construction dialogique et polyphonique, procédant d’une nomination (ontotypique, sociotypique, ethnonymique) travaillée par le logos métalinguistique. La valeur praxique du qualificatif berani dépend de sa polysémie et des différentes interprétations dont il écope. Il est fonction du sujet mobile et polymorphe décodant le logos xénophobe graffité sous le double prisme idiosyncrasique (son vécu, son savoir urbain intériorisé) et interdiscursif (le rapport dialogique et polyphonique le reliant au autres).

Description

116f. : ill. ; 30cm. (+ CD -Rom)

Keywords

Langue française, Violence verbale, Construction identitaire

Citation

Sciences du langage